mercredi 12 juin 2013

Rouge cristal : le prologue

Avec Rouge cristal, Dirck Degraeve vous livre le quatrième volume de la série Jacobsen-Maresquier dans le cadre de sa ville fictive Saulmères.

La quatrième enquête de Jacobsen est ancrée dans la réalité économique et sociale du Nord-Pas-de-Calais.


Quels sont les secrets jalousement gardés de la famille Dupont propriétaire du site industriel de l’immense verrerie du groupe Saulver ? Quelle obscure vengeance se dissimule-t-elle sous le couvert des exactions et des crimes du groupe terroriste NORD-ROUGE ?



Rouge cristal
Le prologue


Le cimetière des Brandes offrait un spectacle inaccoutumé en ce jeudi 3 avril 2008.

Une foule grouillante s’y pressait pour assister, sous une pluie fine, au dernier acte des funérailles de Charles-Antoine Dupont, le plus important chef d’entreprise du Pas-de-Calais, fondateur et Président du Directoire de Saulver-International. Il avait transformé l’usine de son père, destinée à la fabrication de pots à conserves, en un véritable empire du verre et du cristal qui étendait ses ramifications en Chine, en Turquie, aux Etats-Unis et au Moyen-Orient.

Le complexe originel de Saulmères employait encore plus de dix mille personnes malgré la crise et la rage de délocaliser qui avait saisi le patronat français depuis plus d’une décennie. Des files de voitures sombres, berlines massives frappées de logos germaniques, étaient garées des deux côtés de la route qui grimpait vers l’entrée, aux grilles grandes ouvertes.

Devant le monument funéraire que Charles-Antoine Dupont avait érigé pour lui-même et sa descendance, majestueux mausolée de marbre noir, blanc et gris, qui semblait vouloir rivaliser avec la flèche élancée de la cathédrale visible à l’horizon dans des traînées de brume, se serraient les proches et les autorités saulmériennes.

Henri Maresquier, le nouveau maire, élu au premier tour le 9 mars après le long règne de Léonce Lagneau, se pavanait en saluant discrètement ses innombrables connaissances dans ce milieu huppé qui, malgré son étiquette PS, demeurait le sien et qu’il avait eu le bon goût de ne pas renier. “Elu mais pas déchu”, comme il aimait à le répéter. De-ci de-là, des gens simples, retraités, ouvriers, généralement âgés, engoncés dans des costumes démodés devenus trop étroits ou trop larges, étaient venus rendre un dernier hommage au grand patron qui appelait certains d’entre eux par leur prénom et les saluait familièrement quand il les croisait.

“Monsieur Charles” avait été la providence de ses subordonnés, le bienfaiteur des quartiers-est de la ville où se succédaient ses innombrables lotissements, associations et clubs sportifs. Ils étaient parmi les plus émus, ces gagne-petit, bouleversés par la perte d’un homme qui les avait nourris et exploités, sans les mépriser pour autant.

Ses enfants bénirent à nouveau le cercueil et se recueillirent pour écouter les ultimes prières des desservants. Ils s’étaient alignés par rang d’âge, soucieux peut-être de respecter une logique familiale dont le garant venait de disparaître.

Félicien, l’aîné, la chevelure poivre et sel emmêlée, portait encore le deuil de son épouse, morte dans un accident de voiture plusieurs années auparavant. Sa sœur Fanny, revêche et altière, le dominait de sa haute taille. Elle ressemblait à leur mère, disparue depuis longtemps. Son mari, Gontran d’Harcourt, un petit homme maigre et voûté, assurait désormais la direction du conseil d’administration.

Max était ailleurs, comme d’habitude. Affublé d’un imper à la Columbo, il semblait à peine réveillé d’une nuit de bringue. Il restait séduisant malgré tout, grand, mince, le cheveu noir corbeau. Il reluquait d’un œil expert de célibataire noceur les femmes alentour.

Etienne se tenait légèrement en retrait. Les mauvaises langues le disaient issu d’une liaison extraconjugale de sa mère avec un ingénieur anglais. Son épouse, née de Solanges, insignifiante et d’une beauté un peu fade, se dissimulait derrière son dos, apeurée devant tant de monde.

Ils demeurèrent impassibles tandis que la tombe venait de se refermer sur la dépouille du père et que défilaient devant eux les assistants pour un dernier témoignage de sympathie.

Un rayon de soleil inattendu, jailli de la masse épaisse des nuages bas frôlant le plateau, vint éclairer la scène d’une gaieté printanière.

Chacun des héritiers l’accueillit à part soi, symbole de continuité et de fidélité pour les uns, d’un avenir renouvelé et radieux pour les autres. Tous se sentaient néanmoins soulagés du poids de l’autorité sans partage et parfois brutale de celui qui avait eu sur terre pour unique tâche de commander.

Henri Maresquier, qui venait de présenter ses condoléances, ne pouvait, malgré son entregent, se dissimuler son angoisse. Comme la plupart de ses concitoyens, il redoutait les retombées de cette disparition pour la prospérité de Saulmères.

Les rapaces tournoyaient déjà en un vol lourd de menaces au-dessus des enfilades de hangars, de quais, de structures métalliques et d’ateliers qui s’étaient progressivement déployés le long du canal.

Le cimetière se vidait lentement et la foule s’agglutinait dans les allées obstruées.

De l’autre côté de la chaussée, sur un terre-plein herbeux détrempé où personne ne s’était garé, un groupe de manifestants surveillés par un car de police avaient déplié une banderole rouge ornée d’un slogan cinglant comme le vent froid qui dévalait la pente, “Dupont, sangsues du Peuple”, et braillaient L’Internationale, le poing levé, au grand dam de ceux qui sortaient par grappes pour s’engouffrer dans leurs véhicules luxueux.

Quand les Dupont passèrent non loin d’eux, ils ne leur accordèrent pas le moindre coup d’œil.

Seul Max se retourna et leur décocha un bras d’honneur en éclatant de rire.



 Bientôt, un autre extrait !


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