lundi 24 septembre 2012

Les Châtiments d'Apophis : un deuxième extrait !

Les Châtiments d'Apophis, ce sont 2 auteurs, Maryse Cherruel et Patrice Dauthie, et ce seront 3 extraits à découvrir. 
 
Aujourd'hui, un second extrait. Celui-ci a été écrit par Maryse Cherruel. Patrice Dauthie a seulement saupoudré ce chapitre de quelques images, tel un cuisinier qui rajouterait des épices.
 
 
 
 
 
 
Le Chapitre 4
de Lille aux serpents

Malgré le gyrophare installé sur le toit de la voiture, je mets plus d’une demi-heure pour arriver à la mairie. Franck abuse peut-être des excès de vitesse mais, en ce qui me concerne, les balades dangereuses c’est terminé. J’ai une petite fille à élever qui a besoin de sa mère.
Mon adjoint m’informe que les pompiers n’ont rien pu faire quand ils sont arrivés : l’homme n’était plus ventilé, comme ils disent, et ils n’ont pu que constater l’absence de tous les signes vitaux, pouls, tension... chez un individu dont Demoustier me précise, avec sa faconde habituelle, qu’il est gras comme un mulot en fin d’été.
L’interrogatoire de la femme de ménage ne se révèle pas d’une grande utilité. Constance Martel est assise sur une chaise dans le couloir, le nez caché dans un grand mouchoir à carreaux. Elle pleure à chaudes larmes. Entre deux sanglots, elle raconte qu’elle a frappé, vers 6h du matin, à la porte du bureau. Elle le croyait vide, bien sûr, comme d’habitude, mais pour elle c’est une question de politesse que de frapper avant d’entrer. Elle a ensuite inséré la clef dans la serrure. À sa grande surprise elle a constaté que la porte n’était pas fermée. Elle est entrée et s’est avancée vers le bureau pour y accomplir l’un des premiers gestes de son travail : vider la corbeille à papiers. C’est là qu’elle a aperçu le député allongé par terre, son cellulaire posé à côté de sa main, et n’a pu retenir un hurlement. Elle s’est alors approchée du corps et, en voyant les yeux grands ouverts de Froissiney, elle a compris qu’il était mort. Elle a alors saisi le téléphone fixe et appelé les pompiers. Inutile de la terroriser davantage. D’un signe de tête, j’invite Franck à me rejoindre à l’écart.
  – La famille du défunt est prévenue ?
  – On a essayé d’appeler sans succès sa femme Juliette qui est maire de ce bled, figurez-vous. Je me suis rapproché du secrétaire de mairie et il nous a dit qu’elle assistait à un congrès à Toulouse depuis l’avant-veille.
  – Vous avez laissé un message sur son portable ?
  – Bien sûr. Mais on lui a demandé de rappeler d’urgence, sans plus.
  – Pas d’enfants ?
Le capitaine secoue négativement la tête.
  – Bien. Prévenez-moi dès qu’elle refait surface. Elle doit bien se rebrancher de temps en temps, non ?
Franck m’assure que tous les moyens sont mis en œuvre pour qu’elle soit contactée le plus rapidement possible. Juliette Froissiney loge dans un hôtel du centre-ville dont la réception a pris bonne note de la consigne.
J’avance dans le bureau ; Lermier, qui est arrivée pendant que nous interrogions madame Martel, s’active déjà sur le corps du député. L’homme est boudiné dans une chemisette blanche à rayures noires dont les boutons sont prêts à être catapultés au moindre mouvement. La cravate jaune qu’il porte est desserrée comme s’il avait voulu l’ôter mais qu’il n’y était pas parvenu. Son visage est couperosé, ses gros yeux globuleux et injectés de sang sont grands ouverts. J’attrape la chair de poule. Pas très reluisant le député…
S’apercevant de ma présence, la légiste me gratifie d’un sourire. C’est une femme blonde d’une quarantaine d’années, svelte et énergique, avec ce détachement si particulier devant les tragédies, cette distance cynique qui caractérise sa profession. J’admire cette faculté de rester impassible devant ce qui transforme un être vivant en chose inerte, pour ensuite en percer tous les secrets en analysant peau, cheveux, ongles, fluides corporels... Et interpréter les signaux diffus qui émanent du corps, pour finalement faire parler le mort, voire violer son intimité au travers de péremptoires observations techniques. C’est la première fois que je revois la doctoresse depuis mon retour. Elle se relève et me tend sa joue pour me saluer. Je suis surprise qu’elle s’autorise cette marque de sympathie à mon égard, ce qui la rend tout à coup plus humaine. J’en suis tout émue. Sans doute mes hormones encore un peu chamboulées par la grossesse et l’accouchement qui me jouent des tours, en sus de l’émotion provoquée par la vision du cadavre porcin du défunt. Je lui fais donc la bise, même si, dans la police, il vaut mieux éviter ce type d’effusion. Je m’écarte rapidement.
  – Alors Emma, ce bébé, comment se porte t-il ? Océane, c’est ça ?
  – Tout à fait ! Vous avez bonne mémoire. Elle se porte à merveille, je vous remercie. Six mois déjà ; c’est une vraie tortionnaire avec ses parents ! Mais dites-moi plutôt, le député, de quoi est-il mort d’après vous ?
  – Ça a tout l’air d’une crise cardiaque. Comme vous le voyez, l’homme a un physique de bon vivant, mais ça c’est subjectif. Le téléphone portable trouvé près de sa main     – enfin c’est ce que m’a dit un de vos agents – semble prouver qu’il n’a pas eu le temps d’appeler à l’aide après avoir ressenti les premières douleurs. D’après la rigidité cadavérique, je dirais qu’il est mort depuis au moins huit, neuf heures. Il m’est difficile d’être plus précise pour le moment. De prime abord j’aurais confirmé le diagnostic des pompiers.
Décidément, j’aime cette femme qui résume en quelques mots tout ce que j’ai besoin de savoir. Mais sa dernière remarque me laisse dubitative.
  – De prime abord ? Que voulez-vous dire ?
Accentuant un suspense dont je me passerais volontiers, Sophie plisse le front avant de lâcher le morceau.
  – Voyez-vous, en l’examinant de plus près, j’ai trouvé une trace de morsure sur le dessous du poignet droit. Regardez, à cet endroit précis, dit-elle en soulevant l’avant-bras du défunt, il y a un œdème d’environ un centimètre tout autour de la morsure. Et ici on voit nettement deux minuscules trous. J’ai fait un stage outre-mer au début de ma carrière et j’ai eu l’occasion d’observer des blessures du même type sur des ouvriers qui récoltent la canne à sucre. Oui, Emma, j’ai bien l’impression que Froissiney s’est fait mordre par un serpent et qu’il est peut-être mort des conséquences de cette morsure. Sidérant n’est-ce pas ?
  – Un serpent ici ? Ça ne tient pas debout Sophie !
  – Vous êtes dubitative, je comprends. Vous ne me croyez pas...
  – Pardonnez-moi mais c’est si…
Sans que je puisse prendre le temps de manifester davantage ma surprise, voici Canisaret qui fait son entrée sur ce qu’il sera peut-être convenu d’appeler la « scène de crime » dans un proche avenir. Encore faut-il confirmer la présence d’un hypothétique serpent et connaître les circonstances de son introduction dans cette pièce. Le petit homme au crâne poli comme de l’ivoire nous tend une main spongieuse et prend connaissance des premiers éléments de l’affaire. Bientôt, il se met à grimacer alors que Sophie lui fait part de ses premières constatations. Je remarque quant à moi avec dégoût que Canisaret devient moite de partout car une suée d’angoisse recouvre rapidement ses tempes et son front.
  – Alors ça, alors ça, balbutie-t-il. C’est ennuyeux, très ennuyeux. Vous vous rendez compte ! Le député Froissiney, mordu par un serpent ! Vous êtes sûre ?, insiste-t-il auprès de Sophie.
Celle-ci ne se démonte pas et réaffirme son diagnostic. Aussitôt, le substitut se reprend et livre ses premières instructions.
  – Telier, appelez l’identité judiciaire. Qu’ils retrouvent cette bestiole ! J’ouvre une enquête préliminaire, je suis obligé, vous comprenez. Prenez cette affaire en main. Je veux savoir comment cet animal, s’il existe, s’est retrouvé ici, vous comprenez, répète-t-il, comme si j’étais la dernière des demeurées.
J’ai envie de lui dire qu’il n’a pas besoin de se justifier. La fébrilité qui gagne les élites lorsque le drame d’un fait divers touche un homme politique fait ressortir tous les travers de la monarchie républicaine dans laquelle la France s’est enfoncée. Mais je suis salariée de la République et j’obtempère sans sourciller.
  – Docteur, poursuit-il, je vous demande de procéder à l’autopsie du défunt dans les meilleurs délais. Et surtout, mesdames, surtout, je vous engage à la plus grande discrétion d’ici à ce que nous en apprenions davantage. Vous comprenez ? Suis-je clair ?
Nous échangeons, Sophie et moi, quelques regards complices. Nul doute que les mêmes pensées traversent notre esprit. Puis le substitut nous quitte, non sans ajouter qu’un gros travail l’attend.

En attendant l’arrivée des techniciens de la Police Scientifique, j’ai bien envie de réquisitionner les gardiens de la paix présents sur les lieux pour procéder à des recherches sommaires. Mais j’y renonce rapidement. Les agents ne sont pas équipés pour ça, leur piétinement va accentuer la pagaille ambiante et je ne tiens pas à ce que quelqu’un se fasse mordre à nouveau. Au niveau des indices, je crois que l’on fera chou blanc. Ce bureau s’est transformé en quai de gare depuis la découverte du corps par la femme de ménage, qui a vu ensuite se succéder les pompiers, des membres du personnel de la mairie etc. Franck prend l’initiative de faire une inspection détaillée de tous les recoins de la pièce, dont la superficie n’excède pas une trentaine de mètres carrés et qui n’est guère encombrée. Il se met en chasse et je perçois d’un coup l’incongruité de la situation. Comme si la décision de Canisaret venait seulement de pénétrer dans mon cortex. Me voilà chargée d’une enquête complètement inédite. Sophie perçoit mon trouble et tente de me rassurer.
  – Ne vous tourmentez pas, Emma. Je suis sûre de moi. Le serpent doit être planqué quelque part. Le bruit l’aura perturbé. Sortons, je vous en prie. Je vais faire transporter le corps à l’institut médico-légal.
  – Il n’y a rien d’autre, mis à part la morsure ? Des traces de lutte, des coups ?
  – Non, il n’y a rien Emma.
Franck pousse alors une exclamation.
  – Hé les filles ! Venez voir ça !
Il nous désigne un bac à fleurs situé près de la fenêtre, dans lequel s’épanouit un magnifique ficus. Le feuillage de la plante est assez dense. Pas suffisamment toutefois pour masquer la présence du coupable. Sophie avait raison et je lis la satisfaction dans son regard. Sous nos yeux, un magnifique reptile à la robe vert-jaune, dont la tête lancéolée se fond parfaitement dans le feuillage de l’arbuste, semble, sur l’une des branches basses, faire une sieste réparatrice.

à suivre : un troisième extrait...

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