jeudi 19 avril 2012

C21 H22... premier extrait

Dans les jours qui vont suivre, nous vous proposons plusieurs extraits de C21 H22..., une présentation de l'auteur ainsi qu'une entrevue de ce dernier sur Radio Boomerang.

Tout de suite, après la quatrième de couverture, ci-dessous, le premier extrait du nouveau polar de Richard Albisser!



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 C21 H22...

Extrait 1

Le lundi 15 septembre 2008, les États-Unis rappelaient au monde entier que les banques étaient non seulement faillibles mais aussi mortelles. L’Europe, décalage horaire oblige, recevrait le flot de mauvaises nouvelles en début d’après-midi. La veille, Jasmina s’était couchée de bonne heure. Un rendez-vous tôt avec son éditeur hémois, un Anglais excentrique marié à une Française. Elle avait prévenu son chef de service à la mairie.

– J’ai besoin de ma matinée lundi prochain. Ne comptez pas sur moi avant l’après-midi.
Ça ne l’arrangeait pas mais bon…
– Il faudra dans ce cas, Jasmina, que tu puisses rattraper tes heures dans la semaine. Il avait regardé en même temps son planning punaisé au mur. Rattraper ses heures, ça aurait pu donner un côté proustien à la conversation mais l’échange en était resté là.

Le petit-déjeuner consista en une tasse de thé noir dont elle alourdit le fond avec des miettes d’un toast tartiné d’une gelée de fruits rouges. Drassir s’était contenté d’un café éjecté du percolateur et d’une biscotte enduite de confiture de tomates vertes avant de filer au commissariat.
Elle l’avait regardé bondir dans son Touran anthracite et repensait aux quelques mots échangés à la hâte : est-ce que tu peux me passer le sucre ?, bien, je te souhaite bonne chance ! Rien à propos de la petite Marie-Eugénie dont le dossier s’enlisait maintenant dans les couloirs de l’administration.
L’adoption serait repoussée à l’automne 2009 au bas mot. Jasmina avait accusé le coup mais l’amertume et l’angoisse se déchiffraient sur son visage. Marie-Eugénie ou Marie, comme ils avaient décidé de l’appeler, était un double qu’elle se cherchait en même temps qu’un prolongement d’elle-même, ce qui était au fond contradictoire. Écrire la libérait sur le moment de ce poids invisible mais un long et obscur processus intensifiait ensuite la sensation d’étranglement. À ces sentiments s’ajoutait l’inquiétude naturelle suscitée par le retour de lecture qu’elle attendait. Un deuxième roman qu’elle avait pour ainsi dire conçu en rêve et dont l’écriture s’était étirée, depuis mars jusqu’à juillet, entre la mairie les lundi, mercredi et vendredi – car ses rythmes de travail avaient été récemment décalés à cause d’une réorganisation générale du bureau – et l’espace libre des autres jours. Quelques semaines de vacances en août à Ruoms en Ardèche avaient permis un intermède de pur repos.
Depuis le 25, elle tournait pour ainsi dire en rond, une lionne dans sa cage. Cette matinée était à la mesure des épreuves que la vie réserve. Son premier ouvrage avait été considéré comme un coup d’essai qu’il fallait bien évidemment transformer. Dans le domaine du sport, des mesures objectives de temps, de mètres, de poids, de points facilitaient les choses, c’était bon pour ceux à qui il fallait délivrer des certitudes tranchées. La littérature comme le continuum indivisible d’une mémoire reposait sur un baromètre subjectif souvent influencé par l’humeur du lecteur, son état d’esprit, sa sensibilité, ses connaissances, ses propres visées. Tout cela formait une disposition particulière vis-à-vis du texte. Un clin d’œil de l’auteur, l’instant d’une phrase où la connivence était recherchée, pouvait passer totalement inaperçu… À cet égard, probablement, l’exercice perdait de sa valeur : des perles jetées comme dans la parabole du Christ…
Jasmina ne s’était pas trop attardée dans la salle de bains. Elle aimait habituellement traînailler avec un rituel de préparation qui lui donnait à la fois la sensation de posséder le temps et de le perdre. Sa conscience, comme un chant de grillons, oubliait alors le cri perçant de l’aigle. Elle enfila à la va-vite un jean délavé et un dessus composé d’une seule pièce, un pull framboise sur lequel était cousu un col de chemise à carreaux rouges et blancs. Un imprimé Vichy. On ne pouvait tout de même pas effacer de certains usages courants ce triste nom. Elle brossa à la hâte ses longs cheveux noir moreau et appliqua un trait léger de crayon sous ses yeux léonins. Ses gestes étaient fébriles comme ceux d’une étudiante qui s’apprête à se rendre aux examens du bac. Peu d’angélisme. Elle s’attendait au pire : son éditeur la massacrerait sûrement. Pour se détendre, elle s’était attaquée la veille à une grille de mots croisés de Deufoux, pas piquée des hannetons. Un verbicruciste à l’esprit particulièrement compliqué. Elle s’était cassé la tête sur une définition bizarre et audacieuse en sept lettres :
Ville du Nord de la France avec au cœur l’inconnue de la queue ou mauvais cheval…
Les définitions usuelles Fleuve de Sibérie et Vingt romain lui avaient délivré un B puis un X dont elle était entièrement sûre. Seul bémol, ---XB-- ça ne collait pas vraiment. Elle avait renvoyé le magazine dans un fond de tiroir.

 à suivre...

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