vendredi 28 octobre 2011

Aparté: Quatre à la suite... 3e extrait

 
Ce nouveau livre de Richard Albisser, dans la collection Riffle Nord, est né d'ateliers d'écriture réalisés dans le cadre d' "écrire à Béthune 2011". Sa thématique policière nous fait vous en révéler des extraits sur le blog Riffle Noir.


Jacques Marmotet est détective privé, Hélène Lagache, juge d'instruction, Emile Fouquereuil, commissaire de police et Pierre-Louis Sanylski, directeur de prison. Ces quatre-là se rencontrent le vendredi soir au Club du Beffroi, le cercle de bridge du centre-ville de Béthune.

 
Quatre joueurs, quatre points cardinaux pour quatre histoires  criminelles.





Extrait 3  : Deuxième affaire racontée en partie par Hélène

UN COEUR
MORT AU NORD
CARTE MAÎTRESSE : LA DAME DE COEUR

    Si Alexandre Dumas s’est d’aussi près intéressé à la place forte de Béthune pour situer la fin de ses Trois mousquetaires, c’est qu’il existe à proximité un village au doux nom de Richebourg qui ne pouvait qu’interpeller celui qui situait Richelieu et Rochefort en périphérie constante de son feuilleton. Une robe rouge d’un côté et une éminence grise de l’autre… Cela devait le conduire à quelques anachronismes s’agissant, de l’appartenance précise, à l’époque où se déroule le roman, de la cité de Buridan au royaume de France. Mais un jeu d’esprit reste souvent préférable à la vérité historique et une œuvre de fiction s’autorisera toujours des latitudes dont le lecteur n’est pas dupe mais qui produisent avec la réalité des accointances délicieuses.
    Richebourg se situe au nord-est de Béthune et a payé comme nombre de villages alentour un lourd tribut lors de la Première Guerre Mondiale. Tour à tour zone d’occupation et ligne de combats, les nombreux mémoriaux témoignent de la violence des affrontements et augmentent, depuis l’ombre sordide d’Abel Pollet, de plusieurs crans, le degré de barbarie atteint par la folie humaine.
    Le vendredi 19 juin 2009, Jacques venait de terminer le récit de l’affaire Benoni Duchemint quand Hélène relança la conversation.
    – J’aurais également une histoire extraordinaire à vous raconter, aguicha-t-elle. Les trois autres furent ferrés sur le coup. La bande n’avait pas vu jusqu’à présent les heures passer. Il était tard mais, contrairement au restaurant, l’agence pouvait les accueillir jusqu’au bout de la nuit. Emile avait de surcroît éteint son téléphone portable si bien que la tentative de Nicole pour le joindre s’était perdue dans les méandres de la boîte vocale, message qui ne donnerait lieu qu’à une manifestation de jalousie, au pire à une petite scène de ménage. Idem pour madame Zanylski, Anne-Lise, habituellement très discrète. Pierre-Louis n’ouvrait son cellulaire qu’à de rares occasions : bon, bien, d’accord !, quand il y pensait... Il ne s’était jamais fait à l’idée d’un tel fil à la patte. C’est une histoire que je tiens de ma mère, poursuivit Hélène, et qui après des recherches que j’ai pu effectuer corrobore une vieille légende. Celle-ci n’était plus connue à Richebourg que d’un seul homme, un vieux prêtre aujourd’hui décédé, le père Vivien. Un homme sage et à la fois guilleret, il avait toujours une bonne blague à raconter. Le nom de jeune fille de ma mère est Clark.
    – Oui, le nom apparaissait sur le faire-part du décès de ta maman l’année dernière. Tu m’as indiqué des origines anglaises, rappela Jacques.
    – Mon grand-père John Clark est effectivement arrivé en France avec les armées de la Libération. Il s’y est installé après qu’il a rencontré en 44 une jeune Béthunoise qui allait devenir ma grand-mère maternelle.
    – C’est donc cela.
    – Mais ça n’est pas tout. Mon arrière-grand-père Edward pendant la Première Guerre a combattu dans le Pas-de-Calais…et c’est à lui que je voulais en venir. Il a d’abord été affecté à Loos-en-Gohelle où il a d’ailleurs été l’un des témoins de la mort, en septembre 1915, du fils de Rudyard Kipling, tombé après avoir été gravement touché à la tête.
    – Ah oui ! Je connais cette histoire, dit Jacques. Le fils de Kipling a longtemps été porté disparu et ses parents ont gardé l’espoir de le retrouver vivant.
    – Comme beaucoup de familles, remarqua Emile.
    – Ce n’est qu’à l’issue de ces quelques témoignages qu’ils ont dû se résoudre à admettre le décès, reprit Jacques en passant outre la remarque du commissaire. Puis il enchaîna d’un ton solennel, l’index boultinant au rythme de la mesure :

Si tu peux voir détruit l’ouvrage de ta vie
Et sans dire un seul mot te mettre à rebâtir,
Ou perdre en un seul coup le gain de cent parties
Sans un geste et sans un soupir ;
Si tu peux être amant sans être fou d’amour,
Si tu peux être fort sans cesser d’être tendre,
Et, te sentant haï, sans haïr à ton tour, 
Pourtant lutter et te défendre…
Si etc. Tu seras un homme mon fils.

    Si je ne m’abuse, ce fameux poème de Kipling date de 1910. Il ne pouvait pas prévoir…, conclut le détective en suscitant un silence soudain et profond. Celui sans doute de la méditation.
   – Bref, reprit Hélène après quelques secondes, cet arrière-grand-père Edward s’est également retrouvé à Richebourg. Je sais peu de lui hormis quelques anecdotes un peu marquantes et une lettre singulière qu’il a envoyée en 1918 à son épouse. Ils habitaient alors dans le Yorkshire. Son fils, donc mon grand-père, aimait à rappeler cet échange épistolaire en concluant qu’il y avait dans la vie souvent peu de hasard et que son installation à Béthune n’était à ce propos pas innocente bien que le seul déterminant soit la rencontre avec ma grand-mère et en aucun cas le contenu de cette lettre.
    – Que disait donc ce courrier ?, s’impatienta Emile.
   – Eh bien, il a été rédigé depuis l’hôpital de Saint-Omer qui était à une quarantaine de kilomètres de la ligne de front. Mon arrière-grand-père, le corporal Clark, y était à ce moment-là soigné d’une blessure infligée lors des assauts violents qui ont secoué toutes les positions alliées en mars 1918. Mon arrière-grand-père a vécu cet événement aux premières lignes. Des bombardements intensifs les terraient, lui et ses soldats, dans leur tranchée depuis plusieurs heures. Tous sentaient bien que les obus se rapprochaient dangereusement. Son bataillon devait être décimé sous les shrapnells ce jour-là, lui ayant la vie sauve grâce à une cavité qui s’est ouverte lors de l’éclatement d’une bombe tombée à un mètre à peine de sa position. On n’imaginera jamais l’enfer que cela aura été pour les hommes. Il faut relire à ce propos Orages d’acier d’Ernst Jünger.
    – C’est sans doute un des meilleurs ouvrages sur le sujet, confirma Jacques.
    – C’est en effet un témoignage édifiant, reprit Hélène.
    – Mais tu en étais à cette cavité qui s’est ouverte. Emile, captivé, voulait en revenir au récit d’Hélène.
    – Oui… Cette cavité aurait pu ressembler à quelque catacombe tant, en sortant d’un premier coma, il avait aussitôt remarqué sur une fortification des symboles étranges et anciens. Au pied du mur se trouvait un vieux coffre, selon lui d’époque médiévale, pour partie armaturé de fer rouillé et pour autre cerclé de cuir épais que le temps avait toutefois sérieusement corrompu. La serrure enclenchée à triple tour n’a pas résisté longtemps à ses tentatives d’ouverture. Des siècles avaient progressivement diminué les capacités de protection du verrou. Bref, en moins d’une heure, son poignard de tranchée en est venu à bout. Alors quand il a soulevé le couvercle, il a reçu comme un rayonnement puissant de lumière. Le contenu recelait un or si pur qu’il illuminait le renfoncement sombre dans lequel il se trouvait. De l’or sous forme de lingots, gros comme des pains de cinq cents, qu’il a eu le temps de compter : quarante exactement. Tu comprendras, Jacques, que tes soixante plombs, quand tu les as pour la première fois évoqués, m’avaient immédiatement rappelé cette histoire familiale.
    – Le plomb et l’or en effet… Saturne et Apollon…, répliqua Jacques emporté par une soudaine rêverie.
    – Le fer de Mars et le cuivre de Vénus, renchérit Pierre-Louis qui n’était pas un niais. À chaque grand dieu de l’Olympe son métal et à chaque planète sa matière.
    – Le dieu du Soleil veillait sur les Hommes malgré la colère de Mars, pérora Emile, lequel ne voulait pas être en reste dans cet enchaînement d’érudition et cet instant de poésie. Chacun des quatre joueurs avait fait ses humanités. Emile de son côté, sans le savoir, pratiquait parfois l’hyperbole ou l’adynaton .
    – Bref, te voilà donc à la tête d’un trésor que tu nous as toujours caché, rebondit Pierre-Louis qui revenait à des considérations plus prosaïques.
    – Pas vraiment, pour tout dire, car cette histoire se termine sur une autre forme de fortune. Les bombardements de l’ennemi se faisaient de plus en plus violents. La cavité qui l’avait quelque temps protégé menaçait maintenant de l’enterrer vivant tant les tirs s’intensifiaient.
    – Un abri transformé en cercueil, interrompit Emile.
    – Un fil étroit de démarcation entre la vie et la mort, précisa Jacques.
   – En tout cas, reprit Hélène, mon arrière-grand-père, seul rescapé de l’hécatombe, ne se voyait pas transporter une telle quantité d’or. Du reste, il était en proie à un dilemme que tout un chacun aurait tranché comme il l’a fait. Sauver cet or ou sauver sa vie. Il a cherché, un peu sonné, à s’extraire de son trou. Ça continuait de pétarader dans tous les coins. Sa seule issue consistait à se replier vers l’arrière. Ce qu’il s’emploierait à faire. La logique simple de la survie. Les obus labouraient un mélange de terre, de briques et de poutres qui constituaient les fondations de la tranchée. Enfin hissé hors de sa prison dorée, il n’eut que le temps de remercier Dieu : le canon touchait à l’aveugle l’endroit duquel il venait de péniblement s’extirper. La boue a enseveli totalement la cavité. Il est alors resté immobile un long moment. La pluie de shrapnells ralentissait. Il se doutait qu’il ne tarderait pas à percevoir de loin les coups de sifflet qui lanceraient l’assaut des fantassins allemands. Le lieu n’offrait plus aucune défense. Il a rampé comme il a pu. Un bruit strident a annoncé l’attaque des premières lignes ennemies. Quelques zébrures sporadiques de mitrailleuses prouvaient que toutes les positions anglaises n’avaient pas été laminées mais la faiblesse du feu lui a fait comprendre qu’elles ne résisteraient pas longtemps. La tranchée serait prise par les troupes du Kaiser. Nulle envie de se retrouver au mieux prisonnier ou en toute vraisemblance éventré par une baïonnette. Il lui fallait fuir vers la tranchée arrière et pour cela courir le plus vite possible. Il a très bien expliqué dans sa lettre ce qui peut à cet instant crucial passer par la tête. Bondir selon une intuition que c’est là le moment de le faire. Un ange-gardien lui avait dicté de quitter l’or qui en aliénait généralement plus d’un. Ce zeste de raison et de sagesse l’a convaincu de s’interroger au plus profond de lui-même pour sentir la seconde où il détalerait. Cette seconde précise où il ne serait pas pris sous le feu des armes automatiques que les Boches avaient rapprochées. Il a mis à exécution son plan et, au milieu des rafales d’acier, il s’est hâté éperdument en priant pour son salut. Cette course lui a paru durer une éternité. Avez-vous vu le film l’Armée des ombres de Melville ?
    – Oui, bien sûr, repartirent les trois en chœur.
    – Cette séquence où Ventura a à peine une minute pour filer dans un tunnel sans issue, une galerie d’égout, au départ duquel la Gestapo a flanqué une mitrailleuse, n’est-ce pas ?, précisa Jacques.
    – En effet, reprit Hélène, une séquence où le spectateur se dit qu’il ne sert plus à rien de courir. Un éclair illumine l’œil du héros. Il prend ses jambes à son cou, court à perdre haleine. On entend le cliquetis métallique de l’arme qui s’enclenche et le bruit strident de la première rafale. À ce moment précis, une bouche d’égout s’ouvre au-dessus de sa tête : ce sont ses camarades informés de ce procédé terrible d’exécution et ayant réussi à se procurer le plan des conduits. Ils le sauvent en l’extirpant par le haut puis filent à toute allure dans leur traction avant. Illustration parfaite de la formule ultime qui rappelle que le dernier résidu de vie constitue encore et toujours une parcelle d’espoir. Je crois bien que c’est ce carburant qui a sauvé ce jour-là le corporal Edward Clark. Néanmoins, au moment d’atteindre la tranchée arrière, une méchante balle lui casse l’épaule et le laisse évanoui. Il se réveillera à l’hôpital de Saint-Omer où il a été aussitôt amené et où il lui faudra deux bons mois pour s’en remettre. C’est de ce lieu donc qu’il écrira à mon arrière-grand-mère en lui narrant cette histoire. Cette lettre a longtemps été, je crois, une relique dans la famille avant à son tour de disparaître au fil des successions pour ne devenir qu’un récit oral à la façon de celui que je vous donne.
    – Qu’est donc devenu l’or ?, questionna Pierre-louis.

 Le premier extrait est à lire >>>> ICI

deuxième extrait >>>> ICI

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