samedi 5 mars 2011

Faute de vérité: extrait en avant première!

Pour ce premier extrait de Faute de vérité, vous voici en Seine-Saint-Denis. L'action se déroule en 2004 au moment de la Toussaint.

Quant aux protagonistes, vous serez en compagnie de Charles Kapla, flic et narrateur de l'histoire, et de son collègue Serge Thorel: la personnification parfaite du gars usé jusqu'à la corde.






Faute de vérité
Extrait 1

Bagnolet, Toussaint 2004



– Quand même, tu te rends compte ! Toutes ces conneries, tout ce temps perdu, c’est payé par les impôts des honnêtes citoyens !
Il s’agissait des premières paroles de Thorel depuis près de deux heures. Aboyées plus qu’articulées, elles avaient claqué dans le silence de l’habitacle. Rien avant. Rien après.
L’idée qu’il lui avait fallu tout ce temps pour concevoir un tel lieu commun m’effrayait un peu. Je me fis néanmoins un devoir de lui répondre. Au moins pour l’encourager à persévérer.
– Tu sais, si on chope toute la bande et que ça nous conduit à la dope, le contribuable ne sera pas perdant...
Il opina, pas convaincu, sans quitter des yeux la portion visible de la baraque qu’on surveillait de loin depuis plus de six heures.
Massif, mal rasé, le cheveu rare et gras, la mâchoire inférieure légèrement tombante et la bedaine triomphante, Serge Thorel personnifiait à merveille le flic usé jusqu’à la corde. À cinquante ans passés, il enchaînait les planques et les filatures avec un enthousiasme de gardien de musée sous Lexomyl, occupait ses rares heures de temps libre à se saouler et redoutait plus que tout le jour où l’administration le placerait en retraite d’office.
Il avait pourtant été l’un des meilleurs lieutenants de la place de Paris, une vingtaine d’années plus tôt, mais la bouteille avait sapé à la source tous ses espoirs de promotion. Ajoutez à cela une vie privée aussi vide qu’une émission de téléshopping et vous obtiendrez le profil type du gars qui se met une balle en pleine tronche le lendemain de son pot de départ...
On faisait équipe de manière occasionnelle depuis trois ans, sur les affaires placées sous la coupe de la direction de la sécurité publique de Seine-Saint-Denis. En temps normal, il était affecté à la sécurité urbaine, mais se portait invariablement volontaire dès que les Stups, les Mœurs ou les Mineurs avaient besoin d’un coup de main. J’avais fini par m’habituer à sa présence en pointillés, comme un vieux pote qu’on traîne sur le porte-bagages pour dépanner.
Si aujourd’hui ma vocation de policier ne tenait plus qu’à un fil, c’était en grande partie grâce à lui.
Un peu grâce à Caroline aussi.
J’avais trouvé son mot d’adieu posé sur la table au retour du boulot presque quatre mois plus tôt. Un petit bout de papier pour tirer un trait sur deux années de vie commune... Il avait fallu s’en contenter. J’arrivais depuis peu à y penser sans que ça se traduise par des brûlures d’estomac ou des douleurs à la base du cou. Je progressais sur la voie du célibat serein.
Je me souvenais encore presque mot à mot du début de sa lettre « Je ne peux plus supporter cette vie où l’on ne fait que se croiser. J’ai besoin de quelqu’un avec qui partager des projets, un avenir. Je t’ai aimé, mais je sais désormais que cette personne qui peut me rendre heureuse, ce n’est pas toi »...
Et merde, les brûlures qui remontent !
– Il est quelle heure ?
Je jetai un œil à ma montre, tout en me redressant sur le siège de velours élimé pour atténuer les effets de l’acidité gastrique.
– Presque 22 heures...
– Relève à 24 ?
– Ouais. Mercier et Thieffry, je crois.
Thorel acquiesça. Je remarquai qu’il avait laissé ses mains sur le bas du volant depuis le début de la planque. Une telle résistance à l’ennui, ça force l’admiration.
Le portable de service vibra sur la console centrale du tableau de bord. Le numéro du commissaire Chiarelli s’afficha sur l’écran. Il appelait sans doute pour prendre les dernières infos avant de rentrer chez lui. Je décrochai en mode haut parleur pour que mon équipier puisse également bénéficier de la bonne parole.
– Oui commissaire ?
– Alors Klapa ? Rien de neuf ? gloussa-t-il de sa voix de fausset.
– Que dalle ! Vous êtes sûr qu’ils doivent bouger bientôt ?
– Je vous certifie qu’il s’agit d’un tuyau quatre étoiles ! Il va y avoir du mouvement.
– Ben, je vous appellerai à ce moment-là...
– Et Thorel ? Toujours avec vous ?
– Où voulez-vous qu’il aille ? Y a pas un troquet dans le coin !
Sans détourner le regard, le susnommé Thorel tendit vers moi un majeur péremptoire.
– Il vous passe le bonjour commissaire !
– C’est ça ! Allez, au revoir et pas de conneries.
Il raccrocha sans laisser les formules de politesse aller à leur terme.
Thorel et moi échangeâmes un sourire complice. Il fallait reconnaître ça à Chiarelli : il faisait l’unanimité au sein de ses équipes.
– Je vais faire un tour, lâcha abruptement Thorel après quelques nouvelles parcelles de silence.
L’appel du commissaire l’avait sorti de sa torpeur. Il extirpa un paquet de cigarettes sans filtre de sa gabardine, attrapa un briquet au fond du vide-poches envahi de papiers gras et de kleenex usagés, et ouvrit sa portière. Les charnières rouillées de la Renault 19 grincèrent douloureusement, suivies de près et sur le même ton par les amortisseurs qui couinèrent de bonheur lorsque Thorel les libéra de son quintal bien pesé.

À très vite pour un second extrait!

date de disponibilité de Faute de vérité: le 9 mars 2011

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